C’est pour épargner au lecteur anglais une plongée dans les épais volumes publiés autrefois par l’Institut du marxisme-léninisme de l’URSS que Marcello Musto a réalisé cette anthologie de textes de l’Association internationale des travailleurs.
Il y a tout lieu de penser qu’il rend, du même coup, service au lecteur français. Car, si l’on peut trouver, en français, d’importants travaux de recherche et de bonnes synthèses sur la Première Internationale, il n’existe aucun recueil de documents récent qui donnerait un aperçu à la fois succinct et général des débats de l’AIT.
Marcello Musto propose en ouverture de son livre une introduction dense, qui retrace l’histoire de l’AIT. Il s’appuie sur des travaux relativement anciens, mais tout à fait solides (M. Molnar, G. Haupt, J. Rougerie, M. Rubel, G. M. Bravo…), ce qui lui permet de présenter une synthèse riche, honnête et convaincante, qui évite les principaux écueils d’un tel exercice. Musto évite d’abord le piège qui consisterait à prendre mécaniquement le parti de « Marx contre les proudhoniens », ou de « Bakounine contre Marx », et tâche d’examiner les positions des uns et des autres de manière nuancée. Il parvient à suivre à la fois le développement institutionnel de l’organisation et l’évolution de la ligne politique. Il s’intéresse aux positions du Conseil général, aux décisions des congrès, mais sans perdre de vue les différentes fédérations, sans dissimuler la diversité des profls qu’elles présentent, et sans oublier qu’elles se développent selon des rythmes et des modalités extrêmement contrastées. Enfn, il n’interrompt pas son récit avec l’éclatement du Congrès de La Haye (1872), mais consacre encore plusieurs pages à « l’après-Marx », aux années américaines de l’Internationale (« centraliste »), et à l’Internationale « antiautoritaire ».
Cette introduction historique est suivie d’un ample choix de textes, repartis en une douzaine de chapitres thématiques. Musto a choisi de présenter des textes relativement brefs, parfois découpés par ses soins, ce qui rend l’ensemble particuliè- rement accessible et maniable. Le parti pris pluraliste, sensible dès l’introduction, est respecté dans l’anthologie: Marx y est dûment représenté (environ un tiers des 80 textes reproduits sont de sa plume), mais une trentaine d’autres auteurs, célèbres (Bakounine, De Paepe, J. Guillaume…) ou inconnus, sont également présents. L’anthologie contient des textes classiques, comme l’Adresse inaugurale de 1864 ou des extraits de La Guerre civile en France, et aborde certains thèmes incontournables, comme la question du mutuellisme, le rôle du syndicalisme, la place de l’État, les formes d’organisation et d’action politiques, l’internationalisme. Mais elle porte aussi des sujets moins attendus, comme l’éducation, le problème de l’héritage, ou la question irlandaise. Il n’est pas question, évidemment, de donner à chaque fois un dossier complet et de restituer dans le détail l’ensemble des positions. Mais Musto s’efforce, sur les sujets les plus controversés (notamment sur l’organisation politique et le centralisme), de donner la parole aux différents protagonistes.
On peut certes regretter que le recueil ne prenne en compte que ce que Musto appelle lui-même les « textes ‘ofciels’ de l’Internationale ». Inclure d’autres sources – articles de journaux, correspondances, extraits de livres ou de mémoires – aurait sans doute permis de donner une image plus complète de ce que fut l’AIT. Une présentation synthétique au début de chaque chapitre thématique aurait également été bienvenue. Mais ces limites n’enlèvent pas grand-chose à cet ouvrage utile et bien fait, dont on ne peut que déplorer l’absence d’équivalent en langue française – alors même que beaucoup des textes qui y fgurent sont traduits du français.
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