I. Paris capitale du monde nouveau
Paris est une « monstrueuse merveille, stupéfiant ensemble de mouvements, machines et pensées, la cité des cent mille romans, la tête du monde » [1]; Balzac décrivait ainsi dans un de ses récits, l’effet que la capitale française produisait sur ceux qui ne la connaissaient pas à fond.
Durant les années précédant la révolution de 1848, la cité était habitée par des artisans et ouvriers en continuelle agitation politique ; du fait des colonies d’exilés, révolutionnaires, écrivains et artistes, ainsi que du ferment social qui la traversait, elle avait atteint une intensité qui s’est rencontrée en peu d’autres périodes historiques. Femmes et hommes, aux dotations intellectuelles les plus variables publièrent des livres, des revues et journaux ; ils écrivirent des poésies ; ils prirent la parole dans des assemblées ; ils se dédièrent à d’interminables discussions dans les cafés, dans les rues, dans les banquets publics. Ils vécurent dans le même lieu, exerçant entre eux une influence réciproque. [2]
Bakounine avait décidé d’aller au-delà du Rhin, pour se trouver « d’un coup au milieu de ces nouveaux éléments qui en Allemagne ne sont même pas nés. [Le premier de ceux-ci étant] la diffusion de la pensée politique dans toutes les strates de la société. » [3] Von Stein soutint que « dans le peuple lui-même était commencée une vie propre qui créait de nouvelles associations, qui pensait de nouvelles révolutions ». [4] Ruge affirma : « A Paris, nous vivrons nos victoires et nos défaites ». [5]
C’était en somme le lieu où il fallait être à ce moment précis de l’Histoire. Balzac, toujours lui, soutenait que « les rue de Paris ont une qualité humaine et impriment en nous, avec leur physionomie, certaines idées dont on ne peut se défendre ».[6] Beaucoup de ces idées frappèrent aussi Marx, lors qu’à 25 ans, il s’y retrouva en octobre 1843 ; celles-ci marquèrent profondément son évolution intellectuelle, qui précisément au cours du séjour parisien, connut une maturation décisive.
Marx s’y rendit[7] en état de disponibilité théorique. Cela tenait à l’expérience journalistique qui avait été la sienne à la Rheinische Zeitung ; cela tenait aussi de l’abandon de l’horizon conceptuel de l’Etat rationnel hégélien et du radicalisme démocratique auquel il était parvenu. C’est dans cet état d’esprit que la vision concrète du prolétariat provoque en lui une secousse profonde. L’incertitude générée par l’atmosphère problématique de l’époque, qui voyait se consolider rapidement une nouvelle réalité économique et sociale se dissipa pour Marx au contact, sur le plan théorique autant que sur celui de l’expérience vécue, avec la classe ouvrière parisienne et ses conditions de travail et de vie.
La découverte du prolétariat et par son intermédiaire, de la révolution ; l’adhésion, même sous une forme encore indéterminée et semi utopique, au communisme ; la critique de la philosophie spéculative de Hegel et de la gauche Hégélienne, la première ébauche de la conception matérialiste de l’Histoire, et les débuts de la critique de l’économie politique constituent un ensemble de thèmes fondamentaux que Marx porta à maturation durant cette période. Les notes qui suivent, laissant volontairement de coté l’interprétation critique de son célèbre écrit de jeunesse, – les ainsi nommés [Manuscrits économico-philosophiques] [8], rédigé précisément au cours du séjour à Paris – privilégient l’approche des questions philologiques qui lui sont relatives.
II. La decouverte de l’économie politique
Pendant la période de collaboration avec la Rheinische Zeitung», Marx s’était déjà confronté avec des questions économiques particulières, même si c’était toujours du point de vue juridique et politique. Progressivement, dans les réflexions développées à Kreuznach en 1843, dont est issu le manuscrit [ De la critique de philosophie hégelienne du droit], ayant conçu la société civile comme base réelle de l’Etat politique, il parvint à la première formulation de l’importance du facteur économique dans les rapports sociaux. [9] Toutefois, c’est seulement à Paris que, poussé par les caractères contradictoires du droit et de la politique, insolubles dans leur propre contexte, ou encore par l’incapacité à donner des solutions aux problèmes sociaux que droit et politique avaient montré, et frappé de manière décisive par les considérations contenues dans les linéaments d’une critique de l’économie politique, un des deux articles d’Engels publiés dans le premier et unique volume desDeutsch-französiche Jahrbücher, il commença « une étude critique scrupuleuse de l’Economie politique » [10]. A partir de ce moment, ses investigations, où prédominait le caractère philosophique et historique, se dirigèrent vers cette nouvelle discipline. Elle devint le centre de ses recherches et préoccupations scientifiques, délimitant un nouvel horizon, qui ne serait plus jamais abandonné [11].
Sous l’influence de « l’essence de l’argent » de Hess et de la transposition, par lui opérée, du concept d’aliénation du plan spéculatif au plan économique et sociale, la première étape de ces analyses se concentra sur la critique de la médiation économique de l’argent, obstacle à la réalisation de l’essence de l’homme. Dans la polémique contre Bruno Bauer Sur la question juive, Marx considère cette dernière comme un problème social qui représente le présupposé philosophique et historico-social de l’entière civilisation capitaliste. Le juif est la métaphore et l’avant-garde historique de rapports qu’elle produit, sa figure mondaine devient synonyme de capitaliste « tout court » [12].
Aussitôt après, Marx inaugure le nouveau champ d’études. Une grande masse de lectures et notes critiques alternent, on le montrera mieux plus loin, dans ces manuscrits et ces cahiers avec des extraits et annotations compilées à partir des textes qu’il lisait. Le fil conducteur de son travail est le besoin de dévoiler et de contredire la plus grande mystification de l’économie politique : la thèse selon laquelle les catégories seraient valides en tous temps et tous lieux. Marx fut profondément frappé de cette économie politique et a manqué de sens historique des économistes, lesquels en réalité tentaient ainsi de dissimuler et justifier l’inhumanité des conditions économiques du temps, au nom de leur caractère naturel. Dans le commentaire d’un texte de Say, il note que « la propriété privée est un fait dont la constitution ne tient pas à l’économie politique, mais en constitue le fondement. (…) L’entière économie politique se fonde donc sur un fait privé de nécessité » [13]. Des observations analogues sont développées dans les [Manuscrits économico-philosophiques] dans lesquels Marx souligne que « l’économie politique part du fait de la propriété privée. Mais elle ne l’explique pas » [14], « elle présuppose en forme de fait, d’évènement, ce qu’elle doit déduire » [15].
L’économie politique considère ainsi le régime de la propriété privée, le mode de production qui lui est conjoint et les catégories économiques correspondantes, comme immuables et durables pour l’éternité. L’homme membre de la société bourgeoise apparait comme l’homme naturel. En somme, quand on parle de la propriété privée, on croit avoir à faire à quelque chose qui est hors de l’homme » [16], commente Marx. Son le refus de cette ontologie de l’échange n’aurait pu être plus net.
Au contraire, soutenu par des études historiques diverses et approfondies, qui lui avaient fourni une première clé de lecture de l’évolution temporelle des structures sociales, et recueillant ce qu’il considérait comme les meilleures intuitions de Proudhon (sa critique de l’idée de propriété comme droit naturel) Marx avait déjà atteint à la compréhension centrale du caractère transitoire et non éternel des réalités de l’histoire. Les économistes bourgeois avaient présenté les lois du mode de production capitaliste comme des lois éternelles de la société humaine. Marx, à l’inverse, en posant comme objet de recherche exclusif et distinct la nature spécifique des rapports de son temps, « la réalité lacérée de l’industrie » [17], il en souligne le caractère transitoire, le caractère de stade historiquement produit, et entreprend la recherche des contradictions que le capitalisme génère et qui poussent à son dépassement.
Ce mode différent de compréhension des rapports sociaux aura d’importantes retombées, la plus significative étant, sans aucun doute celle relative au concept de travail aliéné. Contrairement aux économistes mais aussi à Hegel lui-même, qui le concevait comme une condition naturelle et immuable de la société, Marx fit le parcours qui le portera à repousser la dimension d’essence anthropologique de l’exploitation en faveur d’une conception ayant une base historico-sociale qui renvoyait le phénomène à une structure déterminée des rapports sociaux de production : l’aliénation humaine dans les conditions du travail industriel.
Les notes qui accompagnent les extraits de James Mill, mettent en évidence « comment l’économie politique établit la forme aliénée des relations sociales (die entfremdete Form des geselligen Verkehrs) comme étant la forme essentielle et originelle correspondant à la destinée humaine » [18]. Loin d’être une condition constante de l’objectivation, de la production de l’ouvrier, le travail aliéné est pour Marx, au contraire, l’expression de la société du travail dans les limites du système actuel, de la division du travail qui considère l’homme comme « un tour (…) et le transforme en un avortement spirituel et physique »[19]
Dans l’activité de travail, s’affirme la particularité de l’individu, l’actualisation d’un besoin nécessaire ; cependant « cette réalisation du travail apparait au stade de l’économie privée comme une annihilation de l’ouvrier (Entwirklichung des Arbeiters) » [20]. Le travail serait affirmation humaine, libre action créatrice mais « dans les conditions de la propriété privée mon individualité est aliénée au point que cette activité m’est odieuse, et est pour moi un tourment et seulement un semblant d’activité, et elle est donc seulement une activité extorquée (erzwungene Thätigkeit) et qui m’est imposée uniquement par un accidentel besoin extérieur » [21].
Marx parvint à ces conclusions en recueillant les théories de la science économique, en en critiquant les éléments constitutifs et en inversant leurs résultats. Cela arriva à travers une implication de soi extrêmement intense et incessante. Le Marx de Paris est un Marx affamé de lecture, auxquelles il dédie jours et nuits. C’est un Marx plein d’enthousiasmes et de projets, qui trace des plans de travail tellement grands qu’il ne peut jamais les porter à leur terme, qu’il étudie chaque document relatif à la question en examen, pour être ensuite absorbé par le très rapide avancement de sa conscience et des mutations d’intérêt qui l’envoient ponctuellement vers de nouveaux horizons, d’ultérieures propositions et encore d’autres recherches [22].
Sur la rive gauche de la Seine, il planifie la rédaction d’une critique de la philosophie du droit de Hegel, conduit des études sur la Révolution française pour écrire une histoire de la Convention, projette une critique des doctrines socialistes et communistes existantes. Il se jette ensuite dans une étude forcenée de l’économie politique qu’à l’improviste, pris par la priorité de déblayer définitivement le terrain allemand de la critique transcendante de Bauer et associés, il interrompt, pour écrire sa première œuvre : la Sainte famille ; et puis, encore, cent autres propositions ; s’il y avait une critique à faire, celle-ci passait par sa tête et par sa plume. Et pourtant le jeune le plus prolifique du mouvement de la gauche hégelienne était aussi celui qui avait publié moins que tant d’autres. L’incomplétude qui caractérisera toute son œuvre est déjà présente dans les travaux de son année parisienne. Son caractère scrupuleux tenait à l’incroyable : il se refusait à écrire une phrase s’il ne pouvait la démontrer de dix façons différentes[23]. La conviction de l’insuffisance des informations et de l’immaturité de ses évaluations l’empêchait de publier la plus grande partie des travaux auxquels il se dédiait et ceux-ci restaient ainsi à l’état d’ébauches et de fragments [24]. Ses notes, donc, sont extrêmement précieuses. Elles mesurent l’ampleur de ses recherches et sont donc considérées comme parties intégrantes de son oeuvre. Ceci vaut également pour la période parisienne durant laquelle manuscrits et notes de lecture témoignent du lien étroit et inséparable entre ses propres écrits et les notes[25] prises sur les ouvrages.
III. Manuscrits et cahiers d’extraits : les papiers de 1844
Nonobstant l’incomplétude et la forme fragmentaire qui les distinguent les [Manuscrits économico-philosophiques] de 1844, ont été quasiment toujours lus en prêtant une faible attention aux problèmes philologiques inhérents, ignorés ou retenus comme peu importants [26]. Ceux-ci furent publiés, entièrement pour la première fois seulement en 1932 et, par-dessus le marché, en deux éditions différentes. Dans la collection réalisée par les chercheurs sociaux-démocrates Landshut et Mayer, intitulée Der historische Materialismus, ce texte fut publié sous le titre «Nationalökonomie und Philosophie » [27] ; cela tandis que dans le Marx Engels Gesamtausgabe ce texte est présenté comme « Ökonomisch-philosophische Manuscripte aus dem Jahre 1844 » [28]. Au-delà du titre, les deux publications se différaient aussi par le contenu et l’ordre des différences parties, lesquelles comportent de grandes différences. La première était truffée d’erreurs dues à un mauvais déchiffrement du manuscrit, elle oubliait de publier le premier groupe de feuilles, appelé premier manuscrit, et attribuait de façon erronée directement à Marx un quatrième manuscrit qui en fait était un résumé du chapitre final deLa phénoménologie de l’esprit d’Hegel [29]. Toutefois, il était trop peu tenu compte que même les éditeurs de la première MEGA, dans le fait d’attribuer un nom, dans la façon situer la préface au début (alors qu’en réalité elle se trouve dans le troisième manuscrit) et dans la réorganisation de l’ensemble, finirent par faire croire que Marx avaient eu, dès le début, l’idée d’écrire une critique de l’économie politique et que le tout était à l’origine divisé en chapitres. [30]
De même, la thèse, inexacte selon laquelle Marx avait rédigé ces textes seulement après avoir lu et résumé les œuvres d’économie politique [31] ; en réalité, le processus d’écriture se déroula alternativement entre groupes de manuscrits et extraits, ainsi ces derniers alternent dans toute la production parisienne, des textes pour les Deutsch-französische Jahrbücher à la Sainte famille. Malgré leur évidente forme problématique, la confusion suivant les diverses versions données à imprimer, et par-dessus tout, la conscience de l’absence de la grande part du second manuscrit (le plus important et qui pourtant fut dispersé) personne, parmi les interprètes critiques et curateurs de nouvelles éditions ne s’attacha au réexamen des originaux. Pour un texte qui avait un tel poids dans le débat sur les différentes interprétations critiques de Marx, ce réexamen était pourtant très nécessaire.
Ecrits entre mai et août, les [Manuscrits économiques et philosophiques] ne peuvent être considérés comme un texte cohérent posé de manière systématique et pré ordonnée. Les si nombreuses interprétations qui ont voulu leur attribuer le caractère d’une orientation achevée, tant celles qui y relevaient le caractère parfaitement complet de la pensée marxiste, que celles qui la considéraient comme une conception spécifique opposée à celle de la maturité scientifique [32], sont réfutées par l’examen philologique. Hétérogènes et bien loin de présenter une étroite connexion entre les parties, elles sont plutôt d’évidentes expressions d’une pensée en mouvement. La façon d’assimiler et d’utiliser les lectures dont il se nourrissait est montrée par l’examen des neuf cahiers qui nous sont parvenus, avec plus de 200 pages d’extraits et commentaires [33].
Dans les cahiers parisiens, sont rassemblées les traces de la rencontre de Marx avec l’économie politique et du procès de formation de ses toutes premières élaborations de théorie économique. De la confrontation de ce cahiers avec les écrits de la période, édités ou non, on voit de façon décisive l’importance des lectures dans le développement de ses idées [34]. Si l’on circonscrit l’index aux seuls auteurs d’économie politique, Marx rédige des extraits des textes de Say, Schüz, List, Osiander, Smith, Skarbek, Ricardo, James Mill, Mc Culloch, Prevost, Destutt de Tracy, Buret de Boisguillbert, Law et Lauderdale[35]. De plu dans les [Manuscrits économico-philosophiques] dans les articles et la correspondance du temps apparaissent des références à Proudhon, Schulz, Pecquer, Loudon, Sismondi, Ganihl, Chevalier, Malthus, Pompery et Bentham.
Marx retint les premiers extraits du traité d’économie politique de Say, duquel il reprit des parties entières, pendant qu’il assimilait des connaissances élémentaires d’économie. L’unique annotation est postérieure et se concentre sur le coté droit de la feuille, destiné comme il était habituel de le faire, à cette fonction. Même les extraits des Recherches sue la nature et les causes de la richesse des nations de Smith, qui se succèdent chronologiquement, obéissent à la même finalité, celle de l’acquisitions des connaissances de base en matière de notions économiques. En fait, même si ils sont les plus étendus, ces extraits ne comportent quasiment aucun commentaire. La pensée de Marx ressort par ailleurs clairement du montage des passages lui-même, et comme cela arrive souvent ailleurs, de sa façon de mettre en opposition les thèses divergentes de divers économistes.
A l’inverse, ceux portant sur Les principes de l’économie politique et de l’impôt de Ricardo, en changent de caractère ; ici apparaissent ses propres observations. Elles se concentrent sur les concepts de valeur et de prix conçus encore alors comme parfaitement identiques. Cette égalité entre valeur des marchandises et prix trouve son fondement dans la conception initiale de Marx ; elle conférait une réalité à la seule valeur d’échange produite par la concurrence, reléguant le prix naturel dans le domaine de l’abstraction, comme pure chimère. Avec l’avancement des études, ces notes critiques ne sont plus sporadiques ; elles s’entrelacent avec les recensions des œuvres, et vont en augmentant avec l’avancée de la connaissance, d’auteur en auteur : de simples phrases, puis des considérations plus étendues qui vont jusqu’à se concentrer, à travers les Eléments d’économie politique de James Mill, sur la critique de l’intermédiation de l’argent, lequel complétait la domination de la chose externe sur l’homme. Le rapport se retourne, et ce ne sont plus les textes de Marx qui s’intercalent dans les extraits d’autres auteurs mais l’inverse.
Pour mettre encore une fois en évidence l’importance des extraits, il est enfin utile de signaler la nature de l’utilisation de ces notes, que ce soit quand elles furent rédigées que par la suite. Une partie de celles-ci furent publiées en 1844 dans le Vorwärts !, le quinzomadaire des émigrés allemands à Paris, pour contribuer à la formation intellectuelle des lecteurs [36]. Soulignons surtout qu’elles étaient tellement exhaustives, qu’elles furent par la suite utilisées par Marx (il avait l’habitude de relire ces notes) longtemps après, dans les manuscrits économiques de 1857-58, mieux connus comme les [Grundrisse], dans ceux de 1861-63 et dans le premier livre du Capital .
En conclusion, Marx développa ses idées tant dans les [Manuscrits economico-philosophiques] que dans les cahiers d’extraits de lectures. Les manuscrits sont pleins de citations, le premier en constituant quasiment une collecte ; les cahiers de résumés, même s’ils étaient majoritairement centrés sur les textes qu’il lisait sont accompagnés de ses propres commentaires. Le contenu des deux ensembles, tout comme la modalité d’écriture, caractérisée par la division des feuilles en colonnes, la numération des pages et le moment de la rédaction, confirment que les[Manuscrits économiques et philosophiques] ne sont pas une œuvre indépendante [37] ; ils constituent une partie de la production critique de Marx qui dans cette période se compose d’extraits des textes qu’il étudiait, de réflexions critiques au regard de ceux-ci et d’élaborations qu’il mettait sur le papier en un jet ou sous une forme plus raisonnée. Séparer ces manuscrits du reste, les extraire de leur contexte peut ainsi conduire à des erreurs d’interprétation.
C’est l’ensemble de ces notes, en même temps que la reconstruction historique de leur maturation qui montrent réellement l’itinéraire et la complexité de sa pensée critique durant cette très intense année de maturation parisienne [38].
IV. Critique de la philosophie et critique de la politique
L’ambiance qui entourait la progression des idées de Marx et l’influence qu’elles exercèrent sur le plan théorique et pratique, mérite une autre brève réflexion. Celle-ci se caractérisait par une profonde transformation économico-sociale, et en premier lieue par la grande extension du prolétariat. Avec la découverte du prolétariat, Marx put recomposer en termes de classes la notion hégelienne de société civile. De plus, il parvint à la conscience que le prolétariat était une classe nouvelle, différente des pauvres, dont la misère particulière découlait de ses conditions de travail. « L’ouvrier devient d’autant plus pauvre qu’est importante la richesse qu’il produit, que sa production monte en puissance et extension » [39].
La révolte des tisserands silésiens, qui eut lieu en août, offrit à Marx une nouvelle occasion de développer son orientation. Dans les Gloses critiques en marge de l’article « Le Roi de Prusse et la réforme sociale » par un Prussien, publiées par Vorwärts !, à travers la critique de Ruge, et dans un article précédent qui attribuait à cette lutte un manque d’esprit politique, il prit ses distances avec la conception hégelienne qui faisait de l’Etat le seul représentant de l’intérêt général et reléguait chaque mouvement de la société civile au statut d’élément partiel relevant de la sphère privée [40]. Au contraire pour Marx, « une révolution sociale est à envisager du point de vue de la totalité » [41]. Sur la lancée de cette volonté de la considérer ainsi et à partir la mise en lumière de son caractère explicitement révolutionnaire, il souligna la méprise (bévue) de ceux qui cherchaient le fondement des problèmes sociaux « non pas dans l’essence de l’Etat, mais dans une forme d’Etat déterminée » [42].
Plus généralement, la réforme de la société, objectif de la doctrine socialiste, l’égalité des salaires et une nouvelle organisation du travail dans le cadre du régime capitaliste, furent pour lui réputées comme propositions de ceux qui étaient encore prisonniers des présupposés qu’ils combattaient (tel Proudhon) et de qui, par-dessus tout, ne comprenaient pas le vrai rapport entre propriété privée et travail aliéné. En fait « même si la propriété privée apparaît comme le fondement, la cause du travail aliéné (entäusserten Arbeit), elle en est, en fait, plutôt la conséquence » [43], « la propriété privée est le produit, le résultat, la conséquence nécessaire du travail aliéné (entäusserten Arbeit) » [44]. Aux théories socialistes, Marx oppose un projet de transformation radicale du système économique, projet selon lequel c’était le « capital qui devait être supprimé ‘en tant que tel’ »[45].
Plus ces doctrines étaient proches de sa pensée, plus la critique qu’il leur adresse, renforcée par le besoin de faire la clarté, ira grandissante. L’élaboration de sa conception le poussa à une confrontation continue entre les idées qui l’entouraient et les divers résultats qui naissaient du processus de ses études. C’est le parcours foudroyant de sa maturation qui le lui imposait. Le même sort toucha la gauche hégélienne. Ainsi les jugements de Marx dans la confrontation avec les partisans de ce courant furent d’autant plus sévères qu’ils représentaient aussi pour lui une autocritique de son propre passé. L’Allgemeine Literatur Zeitung, le mensuel dirigé par Bruno Bauer, affirmait de façon péremptoire sur ses pages : « le critique s’abstient de prendre part aux douleurs et aux joies de la société (…) il siège majestueusement dans sa solitude » [46].
Pour Marx, en revanche « la critique n’est pas une passion du cerveau (…) un couteau anatomique, c’est une arme. Son objet est son ennemi, qu’elle ne veut pas confondre, mais anéantir (…) Elle ne se pose plus comme fin à elle même, mais maintenant seulement comme moyen » [47]. Contre le solipsisme de la « critique critique » [48], qui se déployait à partir de la conviction abstraite selon laquelle reconnaître une aliénation voulait dire l’avoir surmontée, il lui était apparu de façon claire que « la force matérielle ne pouvait être abattue que par la force matérielle» [49]. Et que l’être social pouvait être changé seulement par l’œuvre de la praxis humaine. Découvrir la condition aliénée de l’homme, en prendre conscience devait signifier, dans le même temps, opérer pour sa suppression effective. Entre la philosophie fermée de l’isolement spéculatif, qui produisait seulement des batailles de concepts stériles, et sa critique, « qui est au milieu de la mêlée » [50], il ne pouvait y avoir qu’une différence majeure. C’était autant ce qui séparait la recherche de la liberté de l’autoconscience de celle de la liberté du travail.
V. Conclusion
La pensée de Marx accomplit durant cette année cruciale une évolution décisive. Il est désormais certain que la transformation du monde est une question de pratique « dont la philosophie ne pouvait s’acquitter, justement parce qu’elle entendait ce devoir seulement comme un devoir théorique » [51]. De la philosophie qui n’est pas parvenu à cette conscience et qui n’a pas accompli sa nécessaire modification en philosophie de la praxis, Marx prend congé de façon définitive. Son analyse, ne trouve plus son origine dans le travail aliéné, mais dans la réalité de la misère ouvrière. Ses conclusions ne sont pas spéculatives mais orientées vers l’action révolutionnaire [52].
Sa conception politique elle-même mute profondément. Sans adopter des étroites doctrines socialistes et communistes existantes, il prend ainsi ses distances ; il y a en lui mûrissement de la pleine conscience que ce sont les rapports économiques qui (dans leurs entrelacements avec eux) structurent les réseaux de l’ensemble des rapports sociaux. Et alors, « la religion, la famille, l’Etat, le droit, la morale, la science, l’art, etc. ne sont que des modes spécifiques de la production et tombent sous sa loi universelle » [53]. L’Etat a ainsi perdu la position prioritaire qu’il détenait dans la philosophie hégélienne ; absorbé dans la société, il est conçu comme une sphère déterminée et non déterminante des rapports entre les hommes. Selon Marx, « seule la superstition politique imagine encore aujourd’hui que la vie civile doive de nécessité être tenue unie à l’Etat, alors que dans la réalité, l’Etat est tenu uni à la société civile » [54].
Son fondement conceptuel change radicalement, même par rapport au sujet révolutionnaire. De la référence initiale à « l’humanité qui souffre » [55], Marx aboutit à l’identification de le spécificité historique du prolétariat. Celui-ci est considéré, d’abord comme notion abstraite fondée sur des antithèses dialectiques « élément passif » [56] de la théorie, pour devenir ensuite, sur la base d’une première analyse économico-sociale l’élément actif de sa propre libération, l’unique classe dotée de potentialité révolutionnaire dans l’ordre social capitaliste.
Enfin, à la critique, quelque peu vague, de la médiation politique de l’Etat et de celle (économique) de l’argent, obstacles à la réalisation de l’essence en commun de l’homme dans la matrice feurbarchienne, succède celle d’un rapport historique qui commence à identifier dans la production matérielle la base de toute analyse et de toute transformation du présent. « Dans le rapport de l’ouvrier avec la production, est inclus l’ensemble de l’asservissement de l’homme (menschliche Knechtschaft), et tous les rapports de servage ne sont rien d’autre que modifications et conséquences du premier rapport » [57]. Ainsi Marx ne s’en va plus vers une revendication générique d’émancipation, mais il énonce la nécessité de la transformation radicale du processus réel de production.
Pendant qu’il arrive à ces conclusions, il prévoit encore d’autres travaux : après La sainte famille, il continue les études et les extraits d’économie politique, dessine une critique de Stirner, initie le « plan d’un écrit sur l’Etat », étend des remarques sur Hegel, projette d’écrire une critique de l’économiste allemand List qu’il réalisera peu après. Il est ne s’arrêtera jamais. Engels le prie de lancer son travail dans le monde parce que « le temps se rétrécie terriblement » [58] et Marx, avant d’être expulsé de Paris [59] signe avec l’éditeur Leske un contrat pour la publication d’une œuvre en deux volumes qui devait s’intituler « Critique de la politique et de l’économie politique » [60]. Pourtant il faudra attendre 15 ans, l’année 1859, pour qu’une première partie de son œuvre, Pour la critique de l’économie politique soit donnée à imprimer.
Les [Manuscrits économiques et philosophiques] et les cahiers d’extraits et d’annotations nous restituent le sens des premiers pas de cette entreprise. Ses écrits sont pleins d’éléments théoriques dérivés de ses prédécesseurs et contemporains. Aucune des ébauches ou des œuvres de cette période ne peut être classée dans une discipline spécifique. Il n’y a pas d’écrits strictement philosophiques, ni essentiellement économiques, ni seulement politiques. Ce qui en dérive n’est pas un nouveau système, un ensemble homogène, mais une théorie critique en mouvement.
Le Marx de 1844 est celui qui, simultanément, a la capacité de combiner les expériences du prolétariat de Paris avec des études sur la Révolution française, la lecture de Smith avec la lecture critique des intuitions de Proudhon, la révolte des tisserands silésiens avec la critique de la conception hégelienne de l’Etat, les analyses de la misère de Buret avec le communisme. C’est un Marx qui sait cueillir ces différentes connaissances et expériences et qui, en en tissant liens et rapports, donne vie à une théorie révolutionnaire.
Sa pensée, en particulier les observations économiques qui commencent à se développer durant le séjour parisien, n’est pas le fruit d’un coup de foudre imprévu, mais le fait d’un processus. L’hagiographie marxiste léniniste, qui fut dominante durant tant de temps dans le passé, en le présentant avec une improbable immédiateté et préordonnant un résultat final ainsi anachronique et instrumental, en a dénaturé le cheminement de connaissance, et en a présenté une réflexion plus pauvre qu’elle ne l’est. Il s’agit au contraire de reconstruire les genèses, les dettes et les conquêtes des travaux de Marx, en mettant en évidence la complexité et la richesse d’une œuvre qui parle encore à chaque pensée critique du présent [61].
VI. Appendice: Table Chronologique des cahiers d’extraits et manuscrits rédigés par Marx à Paris
Période de rédaction | Contenu des cahiers | Nachlaß | Caractéristiques des cahiers |
Entre fin 1843 et début 1844 | R. Levasseur, Mémoires. | MH | Les extraits sont contenus dans des pages divisées en deux colonnes |
Entre fin 1843 et début 1844 | J. B. Say, Traité d’économie politique | B 19 | Le cahier de grand format, comprend des pages avec des extraits divisés en deux colonnes : dans celle de gauche du Traité de Say e dans celle de droite (rédigée après celle de B 24) de Skarbek et du cours « Cours complet » de Say. |
Entre fin 1843 et début 1844 | C. W. C. Schüz, Grundsätze der National- Ökonomie | B 24 | Cahier de grand format, avec pages divisées en deux colonnes. |
Entre fin 1843 et début 1844 | F. List, Das nationale System der politischen Ökonomie | B 24 | |
Entre fin 1843 et début 1844 | H. F. Osiander, Enttäuschung des Publikums über die Interessen des Handels, der Industrie und der Landwirtschaft | B 24 | |
Entre fin 1843 et début 1844 | H. F. Osiander, Über den Handelsverkehr der Völker | B 24 | |
Printemps 1844 | F. Skarbek, Theorie des richesses sociales | B 19 | |
Printemps 1844 | J. B. Say, Cours complet d’économie politique pratique | B 19 | |
Mai-juin 1844 | A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations | B 20 | Cahier de petit format avec pagination normale. |
Fin mai-juin 1844 | K. Marx, Arbeitslohn; Gewinn des Capitals; Grundrente; [Entfremdete Arbeit und Privateigentum] | A 7 | Cahier de grand format, avec pages divisées en deux ou trois colonnes . Le texte comprend des citations de Say, Smith, de Die Bewegung der Production de Schulz, da Théorie nouvelle d’économie sociale et politique de Pecqueur, de Solution du problème de la population et de la substance di Loudon e da Buret. |
juin-juillet 1844 | J. R. MacCulloch, Discours sur l’origine, les progrès, les objets particuliers, et l’importance de l’économie politique | B 21 | Cahier de petit format, avec pages divisées en deux colonnes. Fait exception la pagina 11 qui contient un résumé de l’article d’Engels. |
juin-juillet 1844 | G. Prevost, Réflexions du traducteur sur le système de Ricardo | B 21 | |
juin-juillet 1844 | F. Engels, Umrisse zu einer Kritik der National-ökonomie | B 21 | |
juin-juillet 1844 | A. L. C. Destutt de Tracy, Elémens d’Idéologie | B 21 | |
Au plus tard juillet1844 | K. Marx, [Das Verhältnis des Privateigentums] | A 8 | Texte écrit en feuilles de grand format divisé en deux colonnes. |
Entre juillet et aout 1844 | G. W. F., Hegel, Phänomenologie des Geistes | A 9 (Hegel) | Feuille successivement cousue à l’intérieur de A 9. |
Aout 1844 | K. Marx, [Privateigentum und Arbeit]; [Privateigentum und Kommunismus];[Kritik der Hegelschen Dialektik und Philosophie überhaupt]; [Privateigentum und Bedürfnisse]; [Zusätze]; [Teilung der Arbeit]; [Vorrede]; [Geld]. | A 9 | Cahier de grand format. Le texte comprend des citations de : Das entdeckte Christentum di Bauer, da Smith, Destutt de Tracy, Skarbek, J. Mill, dal Faust di Goethe, dal Timon von Athen di Shakespeare,mais aussi de divers articles de Bauer publiés dans «Allgemeine Literatur-Zeitung». Il y a aussi des références indirectes à : Engels, Say, Ricardo, Quesnay, Proudhon, Cabet, Villegardelle, Owen, Hess, Lauderdale, Malthus, Chevalier, Strauss, Feuerbach, Hegel e Weitling. |
Septembre 1844 | D. Ricardo, Des principes de l’économie politique et de l’impôt | B 23 | Cahiers de grand format avec pages divisées en deux, et rarement trois colonnes. Les premières deux pages sont des extraits de Senofonte, mais pas divisés en colonnes. |
Septembre 1844 | J. Mill, Eléments d’économie politique | B 23 | |
Entre l’été 1844 e janvier 1845 | E. Buret, De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France | B 25 | Cahier de petit format avec mise en page normale. |
Entre la moitié de septembre 1844 et janvier 1845
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P. de Boisguillebert, Le détail de la France | B 26 | Cahiers de grand format avec extraits de Boisguillebert. Pagination normale à l’exception de peu de pages divisées en deux colonnes. |
Entre la moitié de septembre 1844 e janvier 1845 P. de Boisguillebert, Dissertation sur la nature des richesses, de l’argent et des tributs B 26 |
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Entre la moitié de septembre 1844 e janvier 1845 | P. de Boisguillebert, Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains | B 26 | |
Entre la moitié de septembre 1844 e janvier 1845 | J. Law, Considération sur le numéraire et le commerce | B 26 | |
Entre la moitié de septembre 1844 e janvier 1845
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J. Lauderdale, Recherches sur la nature et l’origine de la richesse publique | B 22 | Cahier de grand format avec pages divisées en deux colonnes. |
Traduction: Martino Nieddu
Références
1. Honoré de Balzac, La commedia umana, (a cura di Mariolina Bongiovanni Bertini), Mondadori, Milano 1994, p. 1189.
2. Cfr. Isaiah Berlin, Karl Marx, La Nuova Italia, Firenze 1994, p. 90.
3. Michail Bakunin, Ein Briefwechsel von 1843, MEGA², Dietz Verlag, Berlin 1982, I/2, p. 482.
4. Lorenz von Stein, Der Socialismus und Communismus des heutigen Frankreichs. Ein Beitrag zur Zeitgeschichte, Otto Wigand Verlag, Leipzig 1848, p. 509.
5. Arnold Ruge, Zwei Jahre in Paris. Etudien und erinnerungen, Zentralantiquariat der Ddr, Leipzig 1975, p. 59.
6. Honoré de Balzac, La commedia umana, op. cit., p. 1187.
7. “Chacun devra s’avouer à lui même, non seulement qu’il y a eu une anarchie générale entre les réformateurs, mais aussi que lui même n’a pas une vision exacte de ce qu’il doit faire” in Karl Marx, Ein Briefwechsel von 1843, MEGA² I/2, op. cit., p. 486.
8. Dans le présent document, les manuscrits incomplets de Marx, publiés par des éditeurs successifs, sont insérés entre des parenthèses cadres. [ …]
9. «L’Etat politique ne peut exister sans la base naturelle de la famille et la base artificielle de la société civile, qui est sa condition sine qua non», ivi, p. 9; «Famille et société civile sont les présupposés de l’Etat, ce sont proprement ce qui l’active. Mais dans la spéculation cela devient le contraire», ivi, p. 8. C’st donc précisément à cet endroit que siège l’erreur d’ Hegel qui veut que «l’Etat politique ne soit pas déterminé par la société civile, mais à l’inverse la détermine », ivi, p. 100. Voir Walter Tuchscheerer, op. cit., p. 49.
10. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA² I/2, op. cit., p. 325.
11. Cfr. Maximilien Rubel, Introduction a Karl Marx Œuvres. Economie II, Gallimard, Paris 1968, pp. LIV-LV qui date de ce moment précis l’origine du long cauchemar de toute la vie de Marx, l’objectif théorique qu’il n’abandonnera plus jamais : la critique de l’économie politique.
12. Cfr. Walter Tuchscheerer, op. cit., p. 56.
13. Karl Marx, Exzerpte aus Jean Baptiste Say: Traité d’economie politique, MEGA² IV/2, Dietz Verlag, Berlin 1981, p. 316.
14. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA² I/2, op. cit., p. 363.
15. Ivi , p. 364.
16. Ivi , p. 374
17. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA I/2, op. cit., p. 384.
18. Karl Marx, Exzerpte aus James Mill: Élémens d’économie politique, MEGA² IV/2, op. cit., p. 453.
19. Ivi , p. 456.
20. Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA I/2, op. cit., p. 365.
21. Karl Marx, Exzerpte aus James Mill: Élémens d’économie politique, MEGA² IV/2, op. cit., p. 466.
22. A ce sujet, on renverra au témoignage d’Arnold Ruge: «Il lit beaucoup, travaille avec une intensité peu commune (…) mais n’apporte jamais rien à sa fin, laisse tout à mi-chemin pour s’enfouir chaque fois dans une mer de livres », travaille «jusqu’à se sentir mal, sans aller au lit pour trois ou quatre nuits d’affilée », lettre de A. Ruge a L. Feuerbach, 15 mai 1844, in Hans Magnus Enzensberger (a cura di), Colloqui con Marx ed Engels, op. cit., p. 22; «Si Marx ne se tue pas tout seul avec ce dérèglement, cette superbe et ce travail désespéré, et si l’extravagance communiste n’efface pas en lui toute sensibilité pour la simplicité et la noblesse de la forme, de ses interminables lectures et jusque dans sa dialectique sans conscience, il y a quelque chose à attendre de ceci (…) Il veut toujours écrire sur les choses qu’il a à peine fini de lire, mais après, il recommence à lire et prend des notes. Néanmoins je pense que, maintenant ou plus tard, il réussira à porter à son terme une oeuvre très longue et difficile, dans laquelle il reversera tout le matériel qu’il a accumulé» in A. Ruge a M. Duncker, 29 agosto 1844, ivi, p. 28.
23. Cf le témoignage de Paul Lafargue qui relate les récits d’Engels sur l’automne 1844. “Engels et Marx prirent l’habitude de travailler ensemble. Engels qui pourtant était d’une précision extrême perdit maintes fois patience en raison du type d’attitude scrupuleuse de Marx qui se refusait à écrire une phrase s’il ne pouvait en démontrer le contexte sous diverses modes”in Hans Magnus Enzensberger (a cura di), Colloqui con Marx ed Engels, op. cit., p. 29.
24. Cfr. Heinrich Bürgers: “A cette époque, l’autocritique sévère qu’il exerçait habituellement envers lui même, l’empêche d’accomplir l’oeuvre principale” ibidem, p. 41.
25. Sur ce complexe rapport cf. David Rjazanov, Einleitung a MEGA I/1.2, Marx-Engels-Verlag, Berlin 1929, p. XIX, il est le premier à avoir souligné la grande difficulté qu’il y a établir une précise ligne de séparation entre les simples cahiers d’extraits de textes lus et ceux qui à l’inverse, sont à considérer comme de véritables travaux préparatoires de Marx lui-même.
26. Cfr. JÜrgen Rojahn, Il caso dei cosiddetti «manoscritti economico-filosofici dell’anno 1844», Passato e presente», n. 3 (1983), p. 42.
27. Karl Marx, Der historische Materialismus. Die Frühschriften, (a cura di Siegfried Landshut e Jacob Peter Mayer), Alfred Kröner Verlag, Leipzig 1932, pp. 283-375.
28. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte aus dem Jahre 1844, MEGA I/3, Marx-Engels-Verlag, Berlin 1932, pp. 29-172.
29. Ces pages, et cela atteste de la difficulté à opérer un classement, apparaissent dans la MEGA2 autant dans la première que dans la quatrième section.Cfr. MEGA², I/2, op. cit., pp. 439-444 e MEGA², IV/2, op. cit., pp. 493-500.
30. Cfr. JÜrgen Rojahn, The emergence of a theory: the importance of Marx’s notebooks exemplified by those from 1844, «Rethinking Marxism», vol. 14, n. 4 (2002), p. 33.
31. Cette erreur est, par exemple, commise par David McLellan, Marx prima del marxismo, Einaudi, Torino 1974, p. 189.
32. Sans vouloir ici, d’aucune façon, présenter le débat à l’infini sur cet écrit de Marx, limitons nous à renvoyer à deux des plus importants travaux qui tiennent ces deux positions différentes. Pour la première les travaux de Landshut et Meyer. Ils sont parmi les premiers à y voir lu “en un certain sens l’oeuvre la plus centrale de Marx (…) (qui) constitue le point nodal de son complet développement conceptuel” et “le noyau qui annonce déjà le Capital” Cfr. Karl Marx, Der historische Materialismus. Die Frühschriften, op. cit., pp. XIII e V. Pour la seconde voir la célèbre thèse de la coupure épistémologique d’Althusser cfr. Louis Althusser, Per Marx, op. cit., pp. 15 ss.
33. Cf MEGA², IV/2, op. cit., pp. 279-579 e MEGA², IV/3, Akademie Verlag, Berlin 1998, pp. 31-110.
34. “Les manuscrits de 1844 sont littéralement nés des extraits de cette période” in Jürgen Rojahn, The emergence of a theory: the importance of Marx’s notebooks exemplified by those from 1844, op. cit., p. 33.
35. A cette époque, les économistes anglais sont encore lus par Marx en traduction française.
36. Cfr. Jacques Grandjonc, Marx et les communistes allemands à Paris 1844, Maspero, Paris 1974, pp. 61-62 voir la lettre de K. Marx a H. Börnstein, écrite au plus tard en novembre 1844, MEGA² III/I, Dietz Verlag, Berlin 1975, p. 248.
37. “Il n’existe aucun point d’appui pour établir que les manuscrits (de 1844) constituent un ensemble bloqué se suffit à lui même” cf JÜrgen Rojahn, Il caso dei cosiddetti «manoscritti economico-filosofici dell’anno 1844», op. cit., p. 57.
38. Cfr. Jürgen Rojahn, The emergence of a theory: the importance of Marx’s notebooks exemplified by those from 1844, op. cit., p. 45.
39. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA² I/2, op. cit., p. 364.
40. Cfr. Michael Löwy, Il giovane Marx, Massari Editore, Bolsena (VT) 2001, p. 57.
41. Karl Marx, Kritische Randglossen zu dem Artikel “Der König von Preußen und die Sozialreform. Von einem Preußen“, MEGA² I/2, op. cit., p. 462.
42. Ivi , p. 455.
43. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA² I/2, op. cit., pp. 372-373.
44. Ivi , p. 372.
45. Ivi , p. 387.
46. Bruno Bauer (a cura di), «Allgemeine Literatur-Zeitung», Heft 6., Verlag von Egbert Bauer, Charlottenburg 1844, p. 32.
47. Karl Marx, Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie. Einleitung, MEGA ² I/2, op. cit., p. 172.
48. Cet épithète est utilisé par Marx dans la “Sainte famille” pour désigner et railler Bruno Bauer et les autres jeunes hégéliens qui collaboraient à la «Allgemeine Literatur-Zeitung».
49. Ivi , p. 177.
50. Karl Marx, Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie. Einleitung, MEGA² I/2, op. cit., p. 173.
51. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA² I/2, op. cit., p. 395.
52. Cfr. Ernest Mandel, op. cit., p. 175.
53. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA² I/2, op. cit., p. 390.
54. Friedrich Engels-Karl Marx, Die heilige Familie, Marx Engels Werke, Band 2, Dietz Verlag, Berlin 1962, p. 128.
55. Karl Marx, Ein Briefwechsel von 1843, MEGA² I/2, op. cit., p. 479.
56. Karl Marx, Zur Kritik der Hegelschen Rechtsphilosophie. Einleitung, MEGA² I/2, op. cit., p. 178.
57. Karl Marx, Ökonomisch-philosophische Manuskripte, MEGA² I/2, op. cit., pp. 373-374.
58. Lettre de F. Engels a K. Marx débat de octobre 1844, MEGA² III/I, Dietz Verlag, Berlin 1975, p. 245; cf aussi F.Engels à K.Marx, 20 janvier 1845 “veille à achever ton livre d’économie politique et même si tu devais ne pas être mécontent de bien des choses n’en tient pas compte, les esprits sont murs et nous devons battre le fer tant qu’il est chaud” ivi, p. 260.
59. Sous la pression du gouvernement prussien, les autorités françaises prirent un décret d’expulsion à l’encontre de divers collaborateur du “Vorwärts”. Marx fut contraint de quitter Paris le 1 février 1845.
60. Marx Engels Werke, Band 27, Dietz Verlag, Berlin 1963, p. 669.
61. Cette chronologie embrasse l’ensemble des quatre cahiers d’étude (étant ainsi exclu le Notizbuch aus den Jahren 1844/47 publié in MEGA², IV/3, pp. 5-30, lequel contient cependant les célèbres Thèses sur Feuerbach) rédigés par Marx pendant son séjour parisien en 1843/45. La date de rédaction étant souvent incertaine, en de nombreux cas, il fallu indiquer la fourchette temporelle dans la quelle on peut estimer que les cahiers ont été rédigés. L’ordre chronologique a été établi à partir à partir du début de cette fourchette temporelle. En outre, Marx n’a pas rédigé ses cahiers les uns après les autres; ils a souvent travaillé en alternant l’écriture d’un cahier à l’autre (voir B19 et B24). C’est pour cette raison que nous avons préféré les cahiers à partir des contenus de leurs différentes parties. Les cahiers qui contiennent les [Manuscrits économico-philosophiques] de 1844 (A7, A8, A9) nous indiquent directement que Marx en est l’auteur; nous plaçons, dans les cadres des parenthèses, les titres des paragraphes qui n’ont pas été choisis par lui mais qui leur ont été attribués par les éditeurs du texte concerné. Enfin, lorsque que pour les auteurs nommés dans la quatrième colonne (caractéristiques des cahiers) on ne précise pas les titres des oeuvres de Marx où ils apparaissent, ces oeuvres sont toujours celles mentionnées dans la deuxième colonne (contenu des cahiers) à l’exception de MH, conservé au Rossiiskii gosudarstvennyi arkhiv sotsial’no-politicheskoi istorii (RGASPI) de Moscou, tous les cahiers de cette période se trouvent au Internationaal Instituut voor Sociale Geschiedenis (IISG) d’Amsterdam, sous les sigles indiqués dans la trosième colonne (Nachlaß).
Marcello
Musto